Handicap et le "scandale de la pauvreté", Emmanuel Macron se mobilise ?
Le 13 septembre dernier, Emmanuel MACRON a officiellement "déclaré la guerre", en présentant son plan voué à limiter, voire à éradiquer la précarité. Il a clamé haut et fort, vouloir "lancer un combat neuf"... pour "ne plus oublier personne". Cette révélation, après avoir été dépeint comme "le président des riches", a peut-être pour but de donner corps à son souhait de renouer avec le reste des Français. Il est apparu ce jour comme un éventuel « président des pauvres ». Et pour ce qui concerne les classes moyennes ? Chaque chose en son temps...
Si france-handicap-info revient sur ces propos, c'est parce qu'il est certainement utile d'y apposer notre loupe quelques instants. En effet, nous savons que de nombreuses personnes handicapées sont, elles aussi, concernées par la pauvreté. Que ce soit parce qu'elles n'ont pas les capacités physiques de travailler ou parce que le marché de l'emploi et les entreprises les discriminent et les excluent. Toujours est-il que c'est la réalité quotidienne de bon nombre d'entre elles. Et sans aucune ressource, elles deviennent financièrement dépendantes de l'État. Celui-ci leur verse une pension mensuelle, l'AAH (Allocation Adulte Handicapé), somme qui bien que leur permettant de manger reste sous la barre du seuil de pauvreté (1 024 €). Vivre en étant handicapé est extrêmement complexe, car les conditions, pas seulement financières, mais d'existence et parfois de survie, restent éminemment problématiques.
C'est pour cela, que les regards de cette population oubliée sont tournés vers le chef de l'État et son équipe. Et cela d'autant plus, qu'il a été élu en promettant de faire du sujet du handicap, l'un de ses chevaux de bataille. Aujourd'hui, un an après la présentation des premiers projets dessinés par le CIH (Comité Interministériel du Handicap) et par Sophie CLUZEL (Secrétaire d'État chargée du handicap), le verni s'écaille et la brillance s´estompe quelque peu.
Quelques exemples que vivent les français….
Prenons en exemple deux des principaux accomplissements destinés à faire évoluer cette situation d'enlisement du handicap, évoqués par le Président de la République le 13 septembre dernier : la revalorisation de l'AAH et la création de postes de personnels aidants, pour permettre de scolariser les enfants handicapés. Il y a du mieux. Certaines choses semblent avancer, mais un léger parfum de déception flotte dans l'air. Si vous interrogez les personnes concernées, les commentaires sur ces améliorations sont plutôt amers.
Gabriel a 30 ans et il perçoit l'AAH depuis plusieurs années. Il espérait voir son pouvoir d'achat augmenter un peu, car malgré son désire de rester actif et de travailler, ses efforts se sont soldés par un licenciement. Il vit désormais de son mieux grâce à ces ressources mensuelles dont le montant est d'environ 800 € en septembre 2018, mais dont la majoration en deux temps devrait le faire passer à 900 € d'ici novembre 2019.
A priori, il s'agit là d'une bonne nouvelle. Mais Gabriel, qui souhaite se mettre en couple, nous fait comprendre la chose suivante « En réalité, on a l'impression qu'au lieu de nous verser 100 € nets en plus, on nous les prend dans une poche pour nous les remettre dans l'autre, par un petit tour de passe-passe. »
Pour comprendre ce propos, qui est celui d'autres personnes handicapées, voici ce que nous explique Rose, une jeune femme handicapée, qui comme Gabriel souhaite se mettre en couple avec une personne valide : « L'État nous prend financièrement en charge, lorsque nous vivons seuls, mais dès que l'on souhaite se mettre en ménage (et c'est le but de la majorité des gens), celui-ci se décharge sur notre conjoint. »
En effet, dès lors qu'une personne handicapée bénéficiant de l'AAH décide de vivre avec une personne gagnant un salaire, celui-ci doit être déclaré. L'allocation est ensuite réévaluée de façon dégressive en fonction du salaire unique rapporté au foyer. À partir de 1600 €, plus ce salaire est élevé et plus l'allocation diminue proportionnellement.
Si vous prenez le cas de Gabriel, l’AAH, dont la conjointe seule gagne 2000 €, cela représente 2800/2900 € lorsqu'ils vivent chacun chez eux. Mais dès qu'ils décident de vivre ensemble, l'AAH est tout bonnement supprimée. Ils se retrouvent à vivre à deux sur le salaire de sa compagne. Gabriel est donc voué à être à la charge de sa femme, avec la culpabilité que cela engendre, les sources de conflits dans le couple et les impossibilités pour eux de se projeter dans l'avenir. Il est aberrant de réaliser qu'au bout du compte, les ressources étant de 1000 € par tête, ils finiront tous les deux sous le seuil de pauvreté ! Gabriel cherche à travailler, mais c'est un cercle vicieux. Il est sans cesse confronté au mur infranchissable érigé entre le handicap et le monde du travail. C'est aussi cela, la vie d'une personne handicapée.
Pour en revenir à cette majoration de l'AAH, en réalité, il faut savoir que le plafond des ressources apportées par le foyer va baisser. Ce qui signifie concrètement deux choses. La première est que cette augmentation nette de 100 € ne vaut que pour les célibataires momentanés. La seconde et qu'en réalité, ce sont certainement les couples comprenant une personne handicapée qui la financent par un système de vases communicants. Finalement, avec la diminution du plafond, les couples mixtes paieront encore plus cher.
Aidants, éducation la réponse est-elle suffisante ?
En ce qui concerne notre second sujet d'intérêt (la création de poste d'aidants, permettant de scolariser les enfants handicapés), on aura bien compris qu'il s'agit d'un thème de grande importance, pour lequel des moyens conséquents ont été mis en place. Le principe est équitable et il est certainement normal que l'on en arrive là. En effet, les enseignants ne sont pas formés et armés pour faire face à ces situations particulières et aller à l'école est un droit pour tous.
C'est pourquoi, en septembre de l'année dernière, le ministère de l'Éducation déclarait la création de 8 000 postes d'ASV (auxiliaires de vie scolaire) en plus. Il avait alors été affirmé que plus de 98 % des demandes avaient été comblées. Seulement un an plus tard, à la rentrée dernière, on a vu des papas sur les réseaux sociaux ou des mamans monter sur une grue pour dénoncer un état de fait indéniable : il n'y a toujours pas assez d'ASV. En réalité, selon l’UNAPEI (première Union nationale de représentation et de défense des intérêts de personnes handicapées intellectuelles et de leurs familles), des milliers d’entre eux sont restés sur le carreau.
Ceci nous prouve que toutes les billes n'ont pas encore été alignées par nos dirigeants et que les chiffres annoncés, en termes de satisfaction des nécessités, ne correspondent pas tout à fait à la réalité. Et même si des postes ont été crées et que des besoins ont été comblés, il reste des efforts à fournir.
Christelle GRECEA est maman d'une petite fille devenue polyhandicapée à la suite de négligences hospitalières. Jade a cinq ans, elle est atteinte de cécité corticale et ne peut plus marcher. Sa mère a fondé l'association L'Espoir pour Jade, afin de trouver les moyens de la remettre debout un jour. L'école est donc un facteur déterminant indispensable pour l'évolution de cette petite fille. Cependant, Christelle nous fait part de son expérience mitigée :
« Nous avons effectivement la chance d'avoir eu une AVS depuis 2017. Seulement, la personne qui s'occupait de Jade l'an dernier, était très souvent absente pour raison de santé et jamais remplacée. Ma fille restait parfois plus de deux semaines d'affilée sans aller à l'école. Il me fallait donc lui expliquer pourquoi elle ne pouvait pas rejoindre ses camarades. Heureusement, je ne retravaillais pas encore à l'époque, donc, je pouvais la garder, mais comment font les parents qui travaillent ? ».
Quand Christelle envoie des courriers aux responsables, on lui répond qu'il n'y a pas les moyens nécessaires pour faire face aux besoins. Dès lors, on comprend pourquoi après cette déclaration de guerre à la pauvreté de Monsieur, le Président de la République du 13 septembre dernier, les associations et les syndicats concernés répondent quelque chose comme : « C'est bien, mais on attend de voir… ».
Par Albert LOUISON
Correspondant FHI
Publication : 21/09/2018