Jean-Marie SCHLÉRET : « Les Ad’AP, c’est une démarche volontariste, progressive et raisonnée. »
Alors que l'on vient de fêter les dix ans de la loi du 11 février 2005, Le président de l’Observatoire de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement, Jean-Marie SCHLÉRET, voulait à tout prix mettre en avant le côté positif et les avancées au lieu de stigmatiser les retards criants de notre société. Ce dernier qui nous accordé un long entretien. Et nous à donné son point de vue sur les agendas d’accessibilité programmée et a expliqué pourquoi les Ad’AP n’ont pas vu le jour avant. Encore une fois le manque de volonté politique aurait pu faire échouer la loi de 2005.
Il faut désormais faire vivre cette loi de participation et de citoyenneté surtout en temps électoral. À quelques jours du premier tour des élections départementales et cantonales, le handicap pourrait bien perdre de sa superbe en raison des coupes budgétaires demandées aux collectivités dans le cadre de la réforme territoriale. Il faudra donc que les forces vives, à commencer par les associations, se fassent entendre afin que la personne handicapée se sente enfin comme un vrai citoyen. Même s'il y a de nombreuses avancées, le chemin est encore long pour parvenir à une société accessible pour tous…
F.H.I --- Concrètement, quelle est votre position face aux agendas d’accessibilité programmée ?
Jean-Marie SCHLÉRET : Bien avant que les choses prennent une tournure réglementaire, j’avais rencontré Claire-Lise CAMPION qui était alors sénatrice. Elle m’avait reçu au Sénat. Elle m’avait interrogé sur cette question de l’accessibilité. Depuis à l’Observatoire de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement, nous développons un concept d’accessibilité raisonnée. Plutôt que de se mettre dans la peau du vérificateur technique avec son code de la construction dans une main et son mètre dans l’autre, il faudrait demander à plusieurs personnes handicapées de tester les lieux pour savoir s’ils sont accessibles ou non.
F.H.I --- Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour mettre en place les Ad’AP ?
Jean-Marie SCHLÉRET : Il y a plusieurs raisons à cela. À l’origine même de la loi, on était pris dans un étau car Matignon nous disait d’aller plus lentement car ils n’avaient pas les moyens pour mettre en place tout ce que prévoit cette loi et de l’autre côté, Marie-Claire CARRÈRE-GEE nous convoquait pour nous demander où en était les engagements du président de la République de l’époque. Avec Anne-Marie MONCHAMP, on se souvient de cette deuxière lecture au Sénat. Cela avait provoqué un véritable taulé car ceux qui défendent l’intérêt des collectivités ont vite rappliqué et elle est passée de justesse. Après, on n’a pas pris en compte la réalité des choses. Jean-François DE LA HARPE disait qu’en France : « le premier jour est pour l’enthousiasme, le deuxième pour la critique et le troisième pour l’oubli ». J’ai bien peur qu’on soit tombés un peu dans l’oubli entre 2007 et 2015. Il faut également rappeler qu’un texte de 2007 prévoyait que les universités et les Préféctures soient accéssibles au 1er janvier 2011. Enfin, il vaut mieux se doter d’échanciers, de moyens concrets et on vérifie année après année où on en est au lieu d’attendre une improbable issue dont on sait par avance qu’elle ne sera pas glorieuse.
F.H.I --- Les Ad’AP restent-ils la seule solution pour obtenir une société inclusive pour tous ?
Jean-Marie SCHLÉRET : Ce n’est pas une solution mais un moyen de contraindre les gens de la bonne manière car je ne pense pas que les sanctions soit la seule méthode. Par exemple, dans le Conseil Régional de Rhône-Alpes, seulement 20% des lycées étaient accessibles. La Région Rhône-Alpes a mis en place un échéancier avec une enveloppe de 50 millions d’euros pour les trois premières années et encore 50 millions d’euros pour les annés suivantes. 150 millions étaient alors programmés pour cette région alors que pour toute la France entière, cela allait coûter un miliard et demi. Les Ad’AP, c’est une démarche volontariste, progressive et raisonnée mais à laquelle on se tient.
F.H.I --- Avec les différentes dérogations liées aux Ad’AP, pensez-vous que dans dix ans, la société française sera accessible à tous ?
Jean-Marie SCHLÉRET : Il faudra s’en soucier bien avant. Année après année, il faut contôler l’avancée des travaux. Il faut se doter de moyens de contrôle car aujourd’hui c’est stupéfiant qu’aucune enquête n'ait été faite sur l’accessibilité des écoles. Il faut également un meilleur dialogue entre les commissions de sécurité et celles de l’accessiblité. On ne peut pas délivrer une autorisation d’exploitation en se fondant uniquement sur la sécurité incendie mais qu’on prenne en même temps l’accessiblité. À partir de ce moment, les choses iront plus vite. Aujourd’hui, on n’a fait ni vite ni bien.
« S’il n’y a pas de mission handicap dans les universités, on n’avancera pas. »
F.H.I --- Selon votre rapport annuel, 25% des nouveaux batiments construits après 2008 ne sont pas en conformités, comment l’expliquez-vous ?
Jean-Marie SCHLÉRET : Cela s’explique par cette phrase du philosophe AMIEL : « La France a toujours cru que parce qu’une chose était dite qu’elle était faite ». Les maires sont souvent de bonnes volontés mais après ils perdent le dossier de vue. Après c’est l'architecte ou le maître-d’œuvre qui fait ce qu’il veut. Au final, la commission axe plutôt son contrôle sur la sécurité incendie que sur l’accessiblité. Il faut faire un meilleur suivi de l’éxecution du cahier des charges pour les travaux de mise en conformité de leurs établissements.
F.H.I --- C’est la première fois qu’une enquête est réalisée sur l’accessibilité des écoles, pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour la faire ? L’Éducation nationale n’a-t-elle pas sa part de responsabilité dans ce retard ?
Jean-Marie SCHLÉRET : Tout le monde se renvoie un peu la balle. L’Éducation s’en lave les mains car elle explique qu’elle a accueilli de nombreux élèves handicapés. Avec 260 000 enfants inscrits dans les écoles, elle dit qu’elle a fait le boulot. Reste maintenant aux collectivités de le faire. Malheureusement il ‘y a un défaut de communication et d’harmonisation entre les différentes parties prenantes.
F.H.I --- Où est-on pour l’accessibilité des universités,
Jean-Marie SCHLÉRET : Pour mettre en accessibilité les 18000 m2 du parc universitaire, le coût s’éleverait à 800 millions d’euros. Pour l’instant, 100 millions ont été engagés pour la mise en conformité des universités françaises. Après il faut qu’il y ait un accueil spécifique pour comprendre les difficultés au quotidien de la personne handicapée. S’il n’y a pas de mission handicap dans les universités, on n’avancera pas.
« Il faut que les forces vives, à commencer par les associations, se fassent entendre. »
F.H.I --- À quelques jours du premier tour des élections départementales et cantonales (22 et 29 mars), n’avez-vous pas peur que les départements rabotent le budger du handicap ?
Jean-Marie SCHLÉRET : On le sent depuis plusieurs années déjà. Le jour de l’oubli, il a commencé. On peut donc avoir certaines craintes. Mais il faut mettre l’accent sur l’accessibilité. Aujourd’hui la mise en conformité d’un collège s’élève à 250 000 euros alors le coût pour un lycée avoisine les 750 000 euros. J’aimerais bien savoir le nombre de collèges qui sont aux normes. Bien évidemment, il faudra reprendre tout cela après les élections départementales.
F.H.I --- Les politiques du handicap pourraient-elles disparaître après les élections?
Jean-Marie SCHLÉRET : Il va y avoir beaucoup de changement au sein des départements. L’exécutif départemental doit aussi entendre ses concitoyens. Il faut que les forces vives, à commencer par les associations, se fassent entendre. Ils ne pourront pas stopper brutalement leur politique du handicap car ils ont en charge les Maisons départementales des personnes handicapées.
F.H.I – Justement, les personnes handicapées auront-elles leurs mots à dire dans ces élections ?
Jean-Marie SCHLÉRET : La personne est réduite à son handicap. Après les collectivités territoriales se soucient avant-tout de faire réélire leurs élus. Et pout conserver leurs places, on a le droit à une accessibilité de façade. Après, il faut voir ce qu’il va en rester. Quelles places vont échoir aux représentants des personnes handicapées au conseil municipal ou départemental ? En fonction de ses compétences, la personne en situation de handicap pourra avoir des fonctions électives autres que dans le domaine du handicap.
« La personne handicapée a sa place au cœur de la société. »
F.H.I --- Vous dressez un tableau pessimiste de cette situation, comment voyez-vous les choses alors ?
Jean-Marie SCHLÉRET : On a franchi une grande étape. En 1975, on a eu le droit à une loi protectrice alors que celle de 2005 est une loi de participation et de citoyenneté. Il faut donc la faire vivre. Dans les têtes, les choses ont changé. Aujourd’hui, la personne handicapée n’est plus regardée de la même manière. Elle a sa place au cœur de la société.
F.H.I --- Justement, le regard sur le handicap a-t-il évolué ?
Jean-Marie SCHLÉRET : On a de plus en plus des personnes handicapées qui ont pris des responsabilités associatives ou politiques. Elles montrent ainsi qu’elles savent prendre les choses en mains et qu’elles sont compétentes. À partir de ce moment, cela peut secouer un peu plus le cocotier politique qu’avant.
F.H.I --- Cela veut-il dire que tous les acteurs du secteur doivent avancer main dans la main pour enfin arriver à une société accessible pour tous ?
Jean-Marie SCHLÉRET : Par le passé, nous avons eu des ministres ou secrétaires d’État qui étaient convaincus de la nécessité de progresser dans le domaine du handicap ; Par contre, il faut plus de lien, de communication entre les différents échelons de l’État. On doit avancer tous ensemble car le vivre-ensemble est un élément porteur de la place de la persone handicapée.
Propos recueillis par
Romain BEAUVAIS
Publication : 18/03/2015