Pourquoi tant de « fous » dans nos rues : Des malades mentaux livrés a eux-mêmes
Des patients atteints de troubles mentaux, parfois majeurs, ne sont pas assez pris en charge dénoncent dans nos colonnes des spécialistes. Il est urgent de revoir comment fonctionnent les services psychiatriques, souvent débordés. Et éviter que des malades errent dans les rues sans soutien. Une analyse livré dans le parisien paru ce 16 janvier que vient complété une interview avec Antoine PELISSOLO chef de service de psychiatrie d'Henri Mondor. La dépression touche 4,7 à 6,7 millions de personnes en France (7 à 10 % de la population), les troubles bipolaires, 800 000 à 3,7 millions de personnes (1,2 à 5,5 %) la schizophrénie, environ 670 000 personnes (1 %) et les troubles du spectre de l’autisme, 1 % également.
Dans un tunnel du métro parisien de la ligne 6, un homme, seul, nage dans un jogging trop large. Comme s’il jouait, il va et vient, en riant, dans le sens contraire de la foule. Quelques jours plus tôt, une femme, élégante, chapeau rouge digne des courses hippiques, se met à taper du pied, dans un wagon de la ligne 1, avant de se mettre à hurler, en furie. Le sol tremble, la rame retient son souffle. Une autre erre toute la journée, le regard vide, le long de la rue Rambuteau, dans le 4e arrondissement.
Des personnes qui crient, qui parlent seule dans les rues, ce sont des scènes courantes surtout dans les grandes villes. Ces âmes errantes sont-elles plus nombreuses qu’avant ? Difficile de savoir, les chiffres n’existent pas. Mais « ce n’est pas normal d’en voir autant », dénonce pour la première fois le docteur Antoine PELISSOLO, chef du service psychiatrie à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil. « C’est un vrai problème, rebondit le Professeur Michel LEJOYEUX de l’hôpital Bichat. Il n’est pas acceptable que sur une question aussi grave, il n’y ait aucune évaluation. Il en faut une ! ».
Selon les spécialistes, cette situation est le reflet d’un défaut de prise en charge des malades, conséquence d’un système psychiatrique en plein naufrage, dénoncé aujourd’hui, haut et fort, par toute une profession. Une journée d’action nationale, à l’appel de plusieurs collectifs, mardi prochain.
Réduction du nombre de lits, alors que la population augmente et que le recours à la psychiatrie est plus fréquent, absence de structures alternatives…Résultat, les patients -et leurs familles- trinquent. « Ils sortent trop tôt de l’hôpital et doivent être réhospitalisés », déplore Marion LEBOYER, responsable de pôle à l’hôpital Mondor et coauteure d’une enquête choc « Psychiatrie : l’état d’urgence ». Le Professeur LEJOYEUX le constate tous les jours dans son service. « On a de plus en plus de difficultés à trouver des places ». Les malades sont davantage livrés à eux-mêmes.
En 2018, les études épidémiologiques montrent qu’un Français sur cinq souffre de troubles mentaux, de dépressions, de troubles bipolaires, d’autisme, de schizophrénie. « Une énorme partie de la population n’est pas soignée correctement », s’insurge Marion LEBOYER. C’est surtout le cas des sans-abris, déjà confrontés à la précarité, et des prisonniers où l’on compte 80% des hommes et 70% des femmes qui souffrent de troubles mentaux.
S’ajoute à ce manque de places, un problème de prise en charge. Dans les cabinets de ville bondés, les délais de rendez-vous s’allongent comme dans les centres médico-psychologiques, qui proposent aux patients des consultations près de chez eux, il faut souvent attendre...un an ! Conséquence le diagnostic est tardif, parfois inexistant. Sans soutien, les chances de guérir paraissent impossibles. Des parents se sentent aussi abandonnés, seuls face à la difficulté de gérer et de s’occuper de leurs enfants atteints de schizophrénie. Alors « nous devons tout revoir » et vite d’après les médecins. Marion LEBOYER demande une vraie réforme. « On pourrait faire beaucoup mieux, y a plein de stratégies thérapeutiques qui ont fait leurs preuves ».
Fin décembre, la ministre de la Santé a accordé une rallonge budgétaire de 50 millions d’euros à ce secteur. Elle souhaite également à l’horizon 2022 « que tous les généralistes fassent un stage en psychiatrie, pendant leur internat, parce qu’ils sont confrontés aux pathologies mentales dans leur quotidien ». Agnès BUZYN donnera des précisions sur sa stratégie lors d’une réunion le 24 janvier. « Dans ce domaine, on a un retard incroyable » nous confiait-elle récemment.
Les quelques chiffres en matière psychiatrique…
La dépression touche 4,7 à 6,7 millions de personnes en France (7 à 10 % de la population), les troubles bipolaires, 800 000 à 3,7 millions de personnes (1,2 à 5,5 %) la schizophrénie, environ 670 000 personnes (1 %) et les troubles du spectre de l’autisme, 1 % également. 15-25 ans, c’est en moyenne l’âge d’apparition de ces maladies. 10 à 20 ans, c’est la réduction de l’espérance de vie de ces patients, notamment du fait des suicides : 10 000 suicides par an et 220 000 tentatives par an. 300 000, c’est le nombre de patients supplémentaires qui font l’objet d’un suivi régulier depuis le début 2010. Chiffres du livre « Psychiatrie : l’état d’urgence », Marion LEBOYER, Pierre-Michel LLORCA, parue au Édition FAYARD en septembre 2018.
Par Elsa MARI / Le Parisien
Publication : 16/01/2019